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L'Architecture Biomimétique

Interview de Vincent Callebaut

Paris 2020

France








« IL N’EST PLUS POSSIBLE DE CONSTRUIRE CONTRE LA NATURE »

Inspirée par la nature, l’architecture biomimétique puise dans un gigantesque réservoir d’innovations vieux de 3,8 milliards d’années. Autant dire qu’elle a tous les atouts dans sa trousse à outils pour réconcilier la construction avec l’environnement. Comment le vivant peut-il transformer le bâtiment ? Entretien avec Vincent Callebaut, architecte spécialiste de la question. 

Regardant bien au-delà des simples constructions green, végétalisées et énergétiquement sobres, le biomimétisme trace les contours de la ville verte de demain, moins minérale, moins polluante et moins éphémère, mais surtout inspirée par le fonctionnement des écosystèmes naturels. En misant sur la circularité et en copiant les innovations biologiques propres aux organismes, celle-ci fera corps avec son environnement et pourra fonctionner en symbiose avec le vivant, sans dommages pour celui-ci.

Acteur confirmé de cette architecture novatrice, Vincent Callebaut a mis ces nouveaux principes au cœur de son travail. Il imagine des bâtiments dont la production d’énergie mime celles des algues en milieu marin et des constructions qui flottent sur l’eau comme les feuilles de nénuphar. Car, aujourd’hui, tout l’enjeu est là… Comment faire pour que les villes de demain puissent être construites en harmonie avec la nature ? Comment garantir qu’elles soient résilientes et pérennes, tout en limitant leurs impacts négatifs sur l’environnement ? La solution ne peut pas être uniquement technologique. C’est un nouvel âge de l’urbanisme, marqué par un retour radical vers la nature, qui pourrait bientôt commencer.

ADN : Rappelez-nous les grands principes de l’architecture biomimétique.

Vincent Callebaut : Un nombre croissant d’architectes font le constat qu’il n’est plus possible de construire contre la nature. Il y a quelques années, la ville d’Amsterdam avait dépensé des millions de dollars afin de construire des barrages pour se protéger de la montée des eaux. À cette époque, certains urbanistes ont pris conscience qu’il était plus intéressant de construire des villages flottants plutôt que d’essayer de contenir la nature. Cela permettait de bâtir des structures ayant une longévité bien plus importante et de réaliser de surcroît des économies substantielles. Un mouvement est né alors qui recoupe l’architecture, l’urbanisme et les nouvelles technologies afin de s’inspirer des structures et des boucles de rétroaction que le vivant invente depuis toujours. À ce titre, les espèces qui ont survécu à la sélection naturelle – seulement 1 % des organismes – constituent un terrain de recherche extrêmement riche pour tendre vers la neutralité carbone, car elles ont su parfaitement optimiser leur consommation de ressources au fil des âges. En s’inspirant d’elles, il est possible de construire des bâtiments dotés d’une bien meilleure sobriété énergétique.

ADN :Comment cela se traduit-il dans votre travail ?

V.C. : Notre agence a été fondée sur le principe d’une architecture totalement en osmose avec l’environnement. Notre premier projet, il y a maintenant douze ans, s’appelait Lilypad. C’était une ville flottante dont la structure était inspirée par les feuilles des nénuphars géants d’Amazonie, qui ont la spécificité d’être très fines, complètement lisses en surface, et entièrement nervurées sur leur face inférieure. Ces nervures, radiales et concentriques, maintiennent la feuille sur l’eau et permettent à un homme de tenir debout sur la mer sans avoir les pieds mouillés. Nous avions imaginé là la première plateforme destinée aux réfugiés climatiques. Par ailleurs, le biomimétisme permet de s’apercevoir que les écosystèmes naturels ne produisent aucun déchet, ni aucune pollution. Ils ont un fonctionnement entièrement vertueux. Aucun déchet, car les feuilles mortes, par exemple, deviennent des nutriments pour les espèces animales et végétales. Aucune pollution, car tout le CO2 qu’ils produisent est capté puis changé en oxygène par les arbres. Aujourd’hui, à l’échelle urbaine, nous essayons de transformer les villes en écosystèmes, les quartiers en forêts et les bâtiments en arbres habités, autosuffisants en énergie. Grâce à la photosynthèse, il est possible de produire de l’électricité. L’objectif est de transformer tous les déchets en ressources.

ADN :Il s’agit donc d’une architecture « circulaire » ?

V.C. : L’économie circulaire est à la mode, mais les humains ne l’ont pas inventée. Elle existe dans la nature depuis 3,8 milliards d’années. C’est une économie non linéaire qui fait en sorte que tout ce qui va être produit et consommé soit recyclable puis recyclé en boucle vertueuse. Nous essayons d’appliquer le même principe aux bâtiments. Cette vision écosystémique est très exhaustive. Elle demande aux architectes de travailler avec des urbanistes, des agriculteurs, des ingénieurs agronomes, des sociologues, mais également avec les citoyens, pour la conception des projets. Nous essayons de faire une ville à la fois plus sobre et plus intelligente, qui permette des économies d’échelle en matière de consommation d’énergie et de gestion des déchets.

ADN :Dans quelle mesure l’architecture biomimétique favorise-t-elle l’avènement de la « ville-nature », c’est-à-dire un écosystème urbain entièrement vertueux dont toutes les externalités sont prises en compte ?

V.C. : Jusqu’à une époque récente, la Charte d’Athènes, qui a été inventée par Le Corbusier et le mouvement moderniste, considérait que la ville fonctionnait comme un corps humain, et que chaque quartier devait avoir une fonction propre, comme les poumons, le cœur, le foie. Cela a produit une très forte segmentation urbaine entre des espaces dévolus au travail, d’autres, aux loisirs, d’autres, aux habitations, ainsi que des centres-villes muséifiés, destinés aux classes sociales les plus riches. La gentrification trouve son origine dans cette conception. Cette vision monofonctionnelle a de moins en moins le vent en poupe. Les urbanistes essayent même de faire exactement le contraire, en concevant chaque quartier pour qu’il soit multifonctionnel et multiculturel. Nous essayons de rapprocher les services des citadins, dans la logique de « la ville du quart d’heure ». En quinze minutes, il doit être possible à chaque habitant d’accéder à toutes les fonctions essentielles du quotidien. En rajoutant la circularité dans la boucle, c’est de cette manière que nous pensons la ville comme un écosystème urbain.

ADN :En quoi cela fait-il évoluer la conception d’un bâtiment ?

V.C. : Nous avons la chance de travailler sur le projet Paris Smart City 2050 pour la mairie de Paris. Nous avons appliqué une conception biomimétique à ce travail prospectif. Nous avons tout d’abord voulu mettre en place une solidarité énergétique entre, d’une part, les bâtiments modernes, plus efficaces pour produire et stocker l’énergie, et, d’autre part, les structures plus anciennes, afin d’éviter les éventuelles pénuries. Nous avons réfléchi à une meilleure exploitation des ressources naturelles. Nous avons dessiné des bâtiments qui prennent en compte la trajectoire du soleil et la course des vents dominants. Ils sont construits avec des matériaux biosourcés, c’est-à-dire issus du milieu naturel. Nous avons également misé sur les énergies renouvelables en installant de grandes canopées solaires qui peuvent produire non seulement de l’électricité, mais également de l’eau chaude sanitaire distribuée en circuit court, tout en alimentant des éoliennes axiales sur les toits. Nous avons travaillé sur la géothermie, pour apporter un complément de chaleur en hiver et de fraîcheur en été. Nous avons donc à la fois des matériaux et des énergies renouvelables. Ensuite, nous avons intégré la nature et l’agriculture urbaine au sein même des constructions. L’autonomie énergétique, grâce à une meilleure utilisation des ressources locales, est au cœur du dispositif. Le bâtiment biomimétique est au croisement de toutes ces innovations.

ADN :Les villes pourraient ainsi devenir plus autonomes, comme le sont les écosystèmes ?

V.C. : En effet. Ce changement majeur vient des énergies renouvelables. La réglementation environnementale 2020, qui entrera en vigueur début 2021, indique que toute construction neuve doit être à énergie positive, c’est-à-dire en mesure de générer plus d’énergie qu’elle n’en utilise. Il sera ainsi possible de produire et de consommer localement. Cette plus-value énergétique peut ensuite être redistribuée en circuit court aux bâtiments voisins. Pour y parvenir, la smart grid est une bonne solution, car elle permet de gérer facilement un réseau commun à tout un quartier. Ce nouveau paradigme renverse la trousse à outils de l’architecture en réinventant des espaces qui augmentent la qualité de vie des habitants tout en étant résilients et autosuffisants.

ADN :Il faut aussi que cette évolution soit accompagnée par une volonté politique, et notamment par l’action des pouvoirs publics territoriaux ?

V.C. : Cela demande juste du bon sens. Aujourd’hui, les architectes travaillent de façon beaucoup plus transdisciplinaire. C’est un effet bénéfique de la mondialisation. Nous pouvons facilement avoir accès à des technologies et à des connaissances venant de l’autre bout du monde. Nous pouvons constituer des équipes internationales, partager nos idées, et ouvrir le champ de conception de l’architecture. Aujourd’hui, la volonté du citoyen pousse celle du politique. Dans les concours internationaux auxquels nous participons, et qui sont soumis à l’occasion au vote citoyen, les projets qui mettent l’écologie au cœur du système constructible des villes sont très largement plébiscités. Ce qui manque souvent en politique, c’est une vision à moyen ou à long terme, afin de dessiner une trajectoire vers la ville que l’on désire bâtir.

ADN : La ville-nature est très éloignée de la smart city hyperconnectée. Ces deux visions pourraient-elles se rejoindre ou sont-elles appelées à s’écarter l’une de l’autre ?

V.C. : En France, nous adorons jouer la carte du contraste. Soit les gens sont favorables aux low-tech, c’est-à-dire les constructions qui n’ont pas besoin de beaucoup d’énergie, soit ils le sont aux « big tech », avec des bâtiments bardés de capteurs. Certains considèrent même qu’ils remporteront la bataille écologique uniquement grâce à la technologie. Je plaide pour une symbiose entre ces deux courants, en prenant le meilleur du low-tech et du big tech.



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