LES ARCHITECTES FACE A L'IA

LES ARCHITECTES FACE A L'IA

Interview Liberation - Vincent Callebaut

Paris 2023

France








LES ARCHITECTES FACE A L'IA : MEME PAS PEUR

De la génération d’images à la conception des projets en BIM, voire à leur réalisation, le recours à l’intelligence artificielle pourrait se répandre dans les agences d’architecture. Mais ces outils sont pour l’heure loin de bouleverser le métier, n’en déplaise à ChatGPT.

«Dans un futur proche, les architectes pourraient appartenir au passé.» Cette sentence prophétique a de quoi faire bondir tout observateur un poil informé du monde de l’architecture. Normal, elle est un peu trop catégorique et… de ChatGPT. Interrogé en février par Neil Leach, architecte et théoricien britannique, sur la façon dont l’intelligence artificielle pourrait avoir prochainement des conséquences négatives pour le métier, le système de dialogue développé par OpenAI a en effet assuré au professeur de design à l’université internationale de Floride que «l’IA progresse rapidement au point de pouvoir générer la conception d’un bâtiment de manière totalement autonome».

Pas vraiment de quoi rassurer l’éminent spécialiste qui, dans le magazine Dezeen, a appelé ses confrères et consœurs à prendre la mesure des chamboulements à venir et, surtout, à se saisir et appréhender ces technologies dans un secteur «de plus en plus compétitif». Un discours un brin alarmiste. Car si les récentes avancées autour de l’IA alimentent chez certains la crainte d’une disparition des architectes au profit des machines, elles font oublier que les outils numériques sont déjà bien installés dans les agences, depuis une bonne décennie. En revanche, ces six derniers mois, le recours à l’intelligence artificielle pour générer des images de bâtiments à partir d’une simple phrase de texte s’est intensifié ou, du moins, décomplexé.


«Haussmann 2.0»

Ponte de la discipline et tête de gondole de Zaha Hadid Architects – l’une des plus grosses agences britanniques –, Patrik Schumacher a par exemple concédé encourager ses collaborateurs à faire appel «la plupart du temps» à Midjourney, Dall-e2 ou Stable Diffusion, pour enrichir le répertoire d’illustrations dans le style virtuose de l’architecte-star irako-britannique avant un concours ou au départ d’un nouveau projet. Une façon d’élargir les horizons à partir de simples indications écrites. Installé à Paris, l’architecte belge Vincent Callebaut a demandé en début d’année à une IA de revisiter le Paris haussmannien pour le rendre plus écolo (des bâtiments moins énergivores et havres de biodiversité). Le résultat donne un «Haussmann 2.0», aux architectures biomimétiques, c’est-à-dire inspirées du vivant. Et avec leurs structures alvéolaires recouvertes de plantes vertes, elles sont des utopies concrétisables.

De la science-fiction ? «Le recours à ces IA accélère le processus de construction et permet d’inventer des bâtiments plus intelligents de par leur géométrie ou leur gestion de l’énergie, pour les rendre moins vulnérables aux phénomènes accentués par le dérèglement climatique», plaide l’«archibiotecte» de 46 ans, qui vient de livrer une tour résidentielle en hélice et qui absorbe le carbone à Taipei. Et Vincent Callebaut nuance : «On en est aux balbutiements : on peut générer des images d’ambiance a priori extraordinaires mais qu’on ne peut pas construire telles quelles alors que les logiciels professionnels de modélisation 3D à partir de tout un tas de données qu’on utilise depuis quinze ans permettent d’œuvrer à leur réalisation à travers le BIM (Building Information Modeling).»


«Archigeek»

«On est quelques-uns à voir ça comme le prolongement de ce qu’on faisait déjà il y a quarante ans, souligne pour sa part Olivier Celnik, “archigeek” élu au Conseil national de l’Ordre des architectes. L’IA va sans doute se répandre dans les agences d’ici quelques années, mais pour l’instant ce n’est pas entré dans la vraie vie des architectes. Beaucoup s’en tiennent à des outils très simples.» De fait, tout un tas de logiciels (AutoCAD, Rhino, Archicad, etc) de conception assistée par ordinateurs (CAO), pour certains nés dans les années 1980 et devenus monnaie courante dans les agences internationales, intègrent désormais des algorithmes pour créer de nouvelles formes ou optimiser les tâches rébarbatives.

Les plus illustres représentants de l’architecture paramétrique, un courant qui consiste à moduler une multitude de paramètres (techniques, environnementaux, plans locaux d’urbanisme, etc) pour faire sortir de terre des édifices aux géométries complexes ou volumes inédits en ont aussi fait l’alpha et l’oméga de leur travail. On pense au musée Guggenheim de Bilbao ou à la fondation Louis Vuitton de l’Américain Frank Gehry, ou encore aux réalisations monumentales émiraties de Zaha Hadid, qui prennent en compte la course du soleil, ou au dôme du Louvre Abu Dhabi de Jean Nouvel, qui joue sur les intentions d’éclairage.


«Ni des équations, ni des algorithmes, mais du ressenti»

«Dans le domaine de l’architecture, les premiers travaux sur l’IA débutent dans les années 60, rappelle Philippe Marin, professeur en sciences et techniques de l’architecture à l’Ecole supérieure nationale d’architecture de Grenoble (Ensag). Or le domaine de l’IA est vaste et, aujourd’hui, de nombreux algorithmes rentrent dans cette famille pour la conception, l’analyse, l’optimisation ou la construction. […] Mais il paraît important que les concepteurs acquièrent une compréhension à la fois théorique et pratique de leur fonctionnement car, à l’inverse, ils pourraient rapidement se retrouver de simples consommateurs de services numériques.»

Autres failles potentielles de ces technologies pointées par le chercheur : des «coûts environnementaux à évaluer» et la «constitution de bulles de filtre» qui pourraient limiter l’imagination ou conduire à un «eugénisme culturel». «C’est un outil comme les autres avec ses bons et mauvais côtés. La limite, c’est que ça reproduise des formes déjà connues et le risque est que les architectes ne s’y intéressent pas et n’en connaissent pas les mauvais usages», défend Olivier Celnik. Un brin sceptique, l’architecte-urbaniste Stéphane Vedrenne n’y voit, lui, pas (encore) d’intérêt, il estime même que cela pourrait «complexifier la méthode de travail». «Un architecte génère de l’espace, des ambiances ou des atmosphères, on va chercher du confort et du bien-être et ça, ce ne sont ni des équations, ni des algorithmes, mais du ressenti, revendique l’associé de l’agence Ameller-Dubois. Il faut de l’intelligence humaine pour piloter l’intelligence artificielle.»


Florain Bardou, Paris, le 9 juin 2023



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